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Ma première agression

Ma mère souvent malade a été hospitalisée et j’avais fait le ménage de la maison. J’étais fière d’avoir terminé mes tâches. Je suis allée au salon, j’ai mis une musique à mon goût, je me suis étendue par terre avec les jambes appuyées sur le sofa. J’avais à peine 12 ans, j’étais HEUREUSE et BIEN DANS MA PEAU ! Tout à coup, une voix m’appelle… c’est celle de mon père qui est dans sa chambre. Je me lève pour répondre à son appel et je le vois là… nu et en « érection » ! En fait, à cet époque, je ne savais même pas que c’était une érection. Je ne connaissais ni la chose, ni le mot. Quel choc ! Cet homme de 30 ans, mon père me demande de le mettre ma main sur son pénis ! Bien sûr, il est l’autorité, il est le chef de famille, je ne vois pas comment je peux faire autrement ! Alors, je m’exécute…

Bien que ce fut le seul épisode avec mon père, cet événement a fait basculé ma vie… m’a littéralement coupé les ailes ! De la jeune fille pleine de vie, d’espoir et de rêves que j’étais, je suis devenue une fille repliée sur elle-même. J’en ai parlé à ma mère et elle m’a dit qu’à son retour à la maison, nous allions en parler tous les trois. Plusieurs années plus tard, j’ai su que ma mère, alors qu’elle était hospitalisée, avait demandé à mon père de « me montrer, c’était quoi un homme » ! Que voulait-elle dire ? Qu’a-t-il compris ? Je ne l’ai jamais su ! Mon père est mort alors qu’il n’avait que 47 ans et jamais je n’ai abordé le sujet avec lui !

Les conséquences dans ma vie ont pris une multitude de visages. Du fait que cette agression a eu lieu à l’adolescence, au moment où j’étais en plein développement de mon autonomie, cela a eu pour effet de prendre toute la place dans ma vie et mon développement vers l’autonomie s’est brusquement interrompu. Pendant longtemps, inconsciemment j’ai laissé le pouvoir aux hommes. J’écoutais, j’obéissais, jamais il ne me venait à l’idée que j’avais le pouvoir de mes décisions, de ma vie! J’étais incapable de dire « non » à quoi que ce soit !

Ma deuxième agression
Je me suis mariée à 18 ans avec un homme dominateur et nous avions de fréquentes chicanes, particulièrement au sujet de notre sexualité. Suite à la suggestion de mon conjoint, j’ai consulté un thérapeute. J’ai développé une grande confiance en ce thérapeute. Un samedi que j’avais un problème de couple particulièrement difficile à résoudre, je l’ai contacté pour en parler. À ma suggestion de le rencontrer dans un restaurant pour en discuter, il a acquiescé et nous avons effectivement discuté de mon problème. Je pense aussi que le fait qu’il m’accordait de l’importance, de l’attention a fait que j’étais peut-être un peu amoureuse de lui. Puis, une semaine plus tard, il m’a invitée à venir chez lui pour un souper. J’avais véritablement une confiance aveugle en lui et pour moi, il était clair que c’était dans le but de parler de la situation que je vivais en couple. Nous avons mangé une fondue puis, sans que je ne sache trop comment, nous nous sommes retrouvés dans son lit. Le seul souvenir que j’ai de cette soirée, c’est qu’il était allongé nu à côté de moi toute habillée. C’est du moins le seul souvenir que j’en ai ! Y a-t-il eu des gestes, une relation… je n’en ai vraiment aucun souvenir.

J’étais dans une période de vulnérabilité et il en a profité. Croyait-il que cela allait m’aider sexuellement ? Il était l’aidant, le thérapeute, il connaissait les conséquences de tels gestes ! Pour moi, bien sûr rien ne s’est arrangé… De nouvelles conséquences se sont ajoutées. Je suis restée fermée durant longtemps, ne voulant plus d’aide. J’avais encore plus de difficultés à faire confiance. Je me suis séparée de mon conjoint. Je m’isolais de plus en plus. Le seul exutoire que j’avais trouvé, c’était la danse. Pendant que je dansais, j’étais bien, je me libérais de mes tensions, j’étais vivante!

Ma troisième agression… et plus encore !
Un jour, je suis partie en voyage avec un groupe de croissance personnelle. Il faillait être quatre par chambre donc deux par lit. Pour partager le lit avec moi, j’ai choisi un gars du groupe que je connaissais. Nous avons partagé la chambre avec autres deux filles. Je me suis dit qu’avec lui, je serais en sécurité. C’était pour moi, une priorité ! Et bien, le premier soir, il m’a agressée sexuellement et tous les soirs durant notre séjour. Jamais je n’ai consenti à ces relations sexuelles. Il ne s’est pas soucié de savoir si je voulais, si je désirais une telle relation, il s’est servi ! C’était très court, juste le temps qu’il prenne son plaisir et c’en était fini. J’avais tellement besoin d’attention et lui m’en accordait, je pense qu’inconsciemment je croyais que c’était le prix à payer. Sur le moment, je ne l’avais pas interprété comme des agressions, mais plus tard, avec le recul, j’ai compris que c’était effectivement des agressions sexuelles.

Un après-midi, alors que je sortais de la douche, un homme que je ne connaissais absolument pas, a ouvert la porte de la chambre avec une clé. C’était l’homme qui faisait le ménage de l’hôtel. J’ai su plus tard que mon coloc avait dit à cet homme qu’il pourrait facilement « m’avoir » ! Où avait-il pris cette idée ? Parce que je parlais de sexualité ouvertement et que je pouvais en rire ??? Cet étranger m’a jetée sur le lit et voulait manifestement me violer. Bien qu’incapable d’entrer en communication avec lui parce qu’il parlait anglais et moi pas, j’ai quand même, réussi à lui faire mettre un condom. J’avais tellement peur d’attraper une maladie vénérienne. J’étais incapable de me défendre, d’appeler à l’aide, d’essayer de fuir, j’étais paralysée par la peur par l’étonnement, la surprise ! Pourtant, jamais dans mon for intérieur, je n’avais voulu ou désiré ce qui venait de se produire. J’avais maintenant l’impression que j’étais une marchandise qu’on avait vendue.

J’ai décidé de parler de tout cela à la thérapeute qui accompagnait le groupe et elle a sollicité une rencontre de groupe. Elle a confronté mon coloc qui a admis sa responsabilité, j’ai pu exprimer ce que j’avais ressenti aux moments des événements et ce que je vivais au moment présent, mais il n’en reste pas moins que cela a ravivé de vieilles blessures et en a ajouté de nouvelles.

Toutes ces agressions m’ont amenée à adopter différents comportements pour être vue, reconnue. Je suis devenue très perfectionniste dans tout ce que je faisais. J’avais besoin qu’on me dise que j’étais bonne dans quelque chose. C’était lourd à porter, mais je pense sincèrement que cela m’a, en quelque sorte, sauvé la vie ! Je devais sortir de l’isolement pour parvenir à organiser les choses. J’utilisais également ma créativité, je réalisais des projets, etc… Les gens me félicitaient et me complimentaient. Par ailleurs, j’ai longtemps été en attente que l’autre comble mes besoins et cela m’arrive encore parfois. J’ai encore tendance à faire passer les besoins des autres avant les miens et j’ai un très grand besoin d’être écoutée avec attention.

Depuis 22 ans, je fais partie du même groupe de croissance personnelle qui se réunit régulièrement aux deux semaines pour discuter, échanger sur ce que nous vivons. Par ailleurs, ce groupe n’est pas axé sur les agressions à caractère sexuel. J’y ai de vraies amies, des gens en qui j’ai confiance.

Puis, en 2006-2007, mon besoin de communiquer, d’échanger avec d’autres femmes ayant vécu des agressions à caractère sexuel, m’a amené à joindre le groupe de soutien du CALACS Châteauguay. J’y ai appris, entre autres, que j’ai le droit d’exister, LE DROIT D’ÊTRE CE QUE JE SUIS ! Le moment charnière de cette démarche a été lorsque, dans une soirée thématique portant sur la sexualité, on a abordé toute la question du plaisir qu’on peut avoir ressenti lors d’une ou des agressions sexuelles. Ce fut pour moi, un moment de révélation ! On venait de crever l’abcès. Enfin, j’avais l’explication à ce plaisir ressenti lors d’agressions… c’est mon corps qui a réagi et je n’étais pas la seule qui en avait éprouvé ! Je n’étais pas coupable de cela ! J’ai ressenti un soulagement un si grand soulagement. Jamais je n’en avais parlé, je portais silencieusement cette honte…

Je sais aujourd’hui que je ne pourrai rien changer à ce qui m’est arrivé, que cela fait partie de moi, mais j’ai le choix de rester accrochée à mon passé et de rester, en quelque sorte, paralysée par tous ces événements ou faire des choix pour MOI ! De prendre soin de moi, de me faire confiance, d’accueillir les bonnes personnes que la vie met sur mon chemin, les petits plaisirs qui me sont offerts. Longtemps, je me suis coupée du plaisir maintenant je suis plus ouverte, plus disponible !

Dans le groupe de soutien 2006-2007, nous étions quatre femmes et pour la plupart, nous avons gardé de bons liens, nous nous contactons et nous revoyons occasionnellement. Quand le groupe s’est terminé, j’ai eu beaucoup de peine, car des liens s’étaient créés entre nous au fil des rencontres.

Après avoir pris connaissance de l’appel lancé dans le bulletin pour obtenir des témoignages de femmes ayant vécu une ou des agressions à caractère sexuel, j’ai décidé que le temps était venu pour moi de sortir de l’ombre, de briser le silence avec mon entourage. En rencontrant Carole, responsable du bulletin et du groupe de soutien, pour lui raconter les détails de mes agressions dans le but de publier mon témoignage dans le bulletin interne du CALACS, j’espérais une libération, sans être assurée que cela se produirait. Je me rends compte aujourd’hui que c’est effectivement un bien lourd fardeau que j’ai enlevé de sur mes épaules. Je considère que c’est un beau cadeau que je me suis offert pour mes 60 ans. FINI LE SILENCE POUR MOI ! Je veux que les gens sachent et comprennent les répercussions de tels gestes dans une vie. De plus, je me dis que si cela peut aider une seule femme à se libérer à son tour, je serai satisfaite de ma démarche. J’ai envie d’en parler ouvertement avec des gens qui veulent échanger avec moi sur le sujet.

Pour ce qui est de ma vie actuelle, je la partage toujours avec un homme que j’admire et que j’aime, un homme respectueux. Si je regarde le chemin parcouru, je suis fière de mes accomplissements, de mes avancés. Mon quotidien, ce n’est pas LE GRAND BONHEUR, mais il y a de plus en plus de petits bonheurs et C’EST BON !

Nycole Beaudoin, survivante