Châteauguay, 16 février 2016
Les dernières semaines ont été marquées par la disparition, la fugue de jeunes filles, recrutées dans la prostitution. Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) Châteauguay dont la mission consiste à soutenir les victimes de violence sexuelle, incluant celles victimes d’exploitation sexuelle se sent interpellé et désire offrir un certain éclairage sur cette problématique qui est aussi, faut-il le dire, présente sinon en croissance en Montérégie.
On estime que chaque année, en Montérégie, environ 125 jeunes filles sont aux prises avec différents niveaux de prostitution juvénile (Mobilis, 2015). On parle ici de données très conservatrices considérant la nature « clandestine » des activités. Les jeunes filles « recrutées » ont généralement entre 12 et 18 ans. La Montérégie compterait une douzaine de gangs de rue, certains plus structurés que d’autres, plusieurs surtout considérés comme émergents. Selon le Coordonnateur du projet SPNE (sans proxénète ni escorte), seulement 10 filles sur 60 vont réussir à se sortir de ce cercle annuellement. « Les 50 autres risquent de devenir de la marchandise. » (Le courrier du sud, 2015)
À la lumière de ce portrait alarmant, il devient important de comprendre, même si cela est complexe et dépasse parfois l’entendement, ce qui amène les jeunes filles à se joindre à des gangs de rue et, ultimement être prostituées. Il y a évidemment plusieurs raisons : par AMOUR, pour combler des besoins d’appartenance, de protection ou de valorisation, par plaisir, par recherche d’identité, par sécurité, pour faire de l’argent, etc. En contrepartie, il est essentiel de comprendre pourquoi les gangs de rue recrutent lesdites jeunes filles. La première réponse à cette question c’est la demande des clients. C’est cette demande pour des filles toujours plus jeunes qui fait en sorte que celles-ci deviennent des proies de choix pour les recruteurs. C’est l’industrie du sexe qui crée la demande et qui oriente le recrutement. La deuxième, c’est la vulnérabilité affective de ces jeunes filles (souvent en fugue) qui se font manipuler et séduire, parce qu’il faut le dire c’est l’arme de choix pour le recrutement. Au point de départ, la majorité des jeunes filles croient avoir trouvé l’amour ou un milieu de vie, un style de vie et non une vie prostitutionnelle. L’amour (son mirage), les menaces, le chantage, le contrôle et les dettes les maintiennent souvent dans ce milieu. Il faut noter que le recrutement de jeunes filles par d’autres jeunes filles qui elles sont déjà membres de gangs de rue est de plus en plus fréquent. Il s’agit d’une autre stratégie pour attirer les jeunes filles. Sous le couvert de l’amitié, on amène donc des jeunes filles vers les gangs.
L’actualité des dernières semaines est bouleversante, voire consternante. Toutefois, comme parents et comme intervenants-es nous pouvons être plus vigilants-es au quotidien, en tentant de reconnaître quelques signes ou indices de prostitution chez les filles : découchent, entrent tard ou fuguent, se montrent évasives sur leurs lieux de sortie, ont toujours de l’argent de poche, possèdent de beaux vêtements et des objets luxueux qu’elles ne peuvent se payer normalement, accordent une importance démesurée à leur apparence, consomment plus de drogues, adoptent des attitudes sexualisées, reçoivent beaucoup d’appels de « nouveaux » amis-es, adoptent un nouveau langage issu du jargon du milieu de la rue, etc.
Jumelé à une plus grande vigilance des adultes, le retour des cours d’éducation à la sexualité dans les écoles secondaires est une avenue de choix, même s’il s’agit d’un projet pilote dans quelques écoles du Québec à ce stade-ci. En effet, les cours vont permettre de parler aux jeunes (filles et garçons) de sexualité, de rapports égalitaires, de violence sexuelle et d’exploitation sexuelle. Clairement, nos jeunes doivent être mieux outillés-es pour face à tous ces enjeux.
À un autre niveau, « il existe déjà de nombreux moyens pour agir contre la demande et la banalisation de l’industrie du sexe, mais leur application ou les moyens pour les mettre en œuvre tardent à venir. Par exemple, sur la scène fédérale, le projet de loi C-452, puissant outil de lutte contre la traite des personnes, n’attend que la signature du décret de mise en application pour être effectif. De son côté, la Loi sur la protection des communautés et des personnes victimes d’exploitation – qui criminalise les clients et interdit d’annoncer ou de vendre les services sexuels d’autrui – est en vigueur depuis plus d’un an. Malheureusement, le manque de volonté politique se traduit par des effectifs policiers insuffisants et une absence de directives claires quant à l’application de la loi. Sur la scène provinciale, le plan d’action en exploitation sexuelle, promis par le gouvernement il y a trois ans, se fait toujours attendre. Tout comme les fonds qui devraient l’accompagner » (CLES, 2016). La plus récente annonce gouvernementale d’un programme de « prévention jeunesse » visant à lutter contre le recrutement et l’exploitation sexuelle des jeunes filles dans la prostitution n’est pas négligeable, mais clairement insuffisante.
Les efforts de tous-tes et chacun-e doivent être présents pour la sécurité et le respect de l’intégrité et la vie des jeunes filles, que ce soit pour éviter leur entrée dans la prostitution ou encore pour soutenir leur sortie vers un avenir plus prometteur !
Chantal Robitaille
Intervenante sociale