Sélectionner une page

Pourquoi avez-vous tendance à vous déprécier ?

 

 

Quand on s’extasie sur votre nouvelle coiffure ou qu’on vous félicite pour votre rendement au travail, êtes-vous capable d’accepter le compliment sans chercher à vous diminuer?  Non?  Vous n’êtes pas seule. Mais saviez-vous que, sous ses allures de modestie, l’auto-dépréciation est d’abord un moyen de défense… et un alibi de première classe pour refuser les défis.

Se déprécier, se dénigrer, voilà une fâcheuse manie qui nous affecte presque toutes et dont nous semblons avoir bien du mal à nous débarrasser. « On dirait que ça sort tout seul, explique Louise, adepte de « l’auto-dépréciation ». C’est comme si je ne pouvais tolérer ni les compliments ni l’admiration des autres. Je me sens obligée de rejeter toute tentative de gratification. Je mets ça sur le dos de l’humilité, mais au fond, je sais bien que c’est pour parer les contrecoups que je nie ma propre valeur. Je refuse les fleurs pour éviter de recevoir le pot! »

 

Le mal du siècle

Un sondage réalisé par Impact Recherche pour le compte de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec témoigne assez justement du problème évoqué par Louise. Cette enquête récente visant à déterminer les motifs de consultation des Québécois indique en effet que le principal malaise qui incite les gens à rencontrer un psychologue, c’est le manque d’estime de soi. Plus de 45% des Québécois qui requièrent les services d’un psychologue affirment en souffrir. « Il s’agit d’un phénomène bien moderne, affirme Michel Sabourin, président de la Corporation. Notre société exige un tel niveau de rendement qu’il serait presque malvenu de se contenter de nos capacités. Cela nous amène à nous auto-déprécier lorsque nous ne pouvons pas répondre aux critères d’excellence de cette société super exigeante. »

Il y a donc celles qui consultent des spécialistes – 61% de la clientèle des psychologues sont des femmes – et celles qui nient le problème. « Je crois qu’il est tout à fait normal de chercher à atteindre le summum de notre potentiel, déclare Judith, une perfectionniste avouée. Moi, je pense que, lorsqu’on est satisfait de soi-même, on cesse d’évoluer. »

Une telle affirmation correspond bien à la personnalité de Judith, qui vient d’entreprendre son troisième bac, son vingt-cinquième régime (minimum!) et sa troisième histoire d’amour en moins d’un an. Rien ni personne ne peut la satisfaire, semble-t-il, surtout pas elle-même… « Tout le monde doute de soi ou se remet en question à l’occasion, et cela peut être très constructif, fait remarquer Marie-Josée Prévost, psychologue. Le problème surgit lorsque l’écart est trop grand entre les objectifs que se fixe une personne et sa capacité à les atteindre. »

« On ne peut pas être bon dans toutes les sphères de l’activité humaine, chacun a ses failles, ajoute-t-elle. Et quand nous découvrons les nôtres, elles deviennent parfois des obsessions. Nous leur donnons une importance exagérée et cela influence notre perception de nous-mêmes. Par exemple, l’une de mes clientes est une avocate très compétente, une femme magnifique, qui a pourtant une très faible estime d’elle-même parce qu’elle n’est pas aussi belle qu’elle le souhaiterait. Nous voulons la perfection, partout, et cela nous rend intolérants à notre propre égard. »

 

Histoires de femmes

Personne n’est à l’abri de ce mal insidieux. Mais nous, les femmes serions des candidates encore plus vulnérables que les hommes. Je dirais que près de 95% des femmes qui consultent un psychologue souffrent d’un problème d’estime de soi, souligne Marie-Josée Prévost. C’est sans doute parce que les femmes ont un sujet d’obsession de plus que les hommes : l’image corporelle. Non seulement trouvent-elles des raisons de douter de leur compétence dans leurs vies amoureuse, familiale, professionnelle, mais elles accordent aussi une très grande importance à la beauté, ce dont la plupart des hommes sont épargnés. »

Si l’apparence physique obsède davantage les femmes, en revanche, la fausse humilité n’est pas leur apanage exclusif. Elle nous a été déléguée par une éducation moralisatrice qui préconisait une attitude de négation et de modestie. « J’ai appris très jeune à refuser les compliments se souvient Louise. Quand j’étais petite et qu’on me félicitait pour un travail scolaire, par exemple, je répondais que je n’avais pas de mérite puisque la tâche était facile. Si on me disait que j’étais jolie, je devais baisser la tête et prétendre le contraire. Autrement, on aurait pu croire que j’étais vaniteuse. Et voilà que maintenant, à 38 ans, on me dit que je devrais m’apprécier à ma juste valeur et le clamer à la face du monde… Facile à dire! On ne se libère pas d’habitudes aussi bien ancrées du jour au lendemain! »

C’est ça que le psychologue Lewis Sheptard appelle la formation réactionnelle. « Ce sont des réflexes acquis, explique-t-il. Comme dire à celui qui nous complimente sur la robe que l’on porte qu’elle est laide, vieille, qu’elle n’a pas coûté cher, etc. Il est souvent plus facile de refuser les éloges que de les accepter. C’est du moins ce que nous avons appris. »

Peut-être s’agit-il en effet d’un comportement acquis. Et peut-être cette notion nous a-t-elle été inculquée à notre insu. « Les gens qui souffrent d’une faible estime de soi ont eu, pour la plupart, une enfance tourmentée, ajoute Marie-Josée Prévost. Ils croyaient que leurs parents avaient une image négative d’eux et ils ont gardé cette impression jusqu’à l’âge adulte. Pourtant, les parents des générations précédentes pouvaient adorer leurs enfants et avoir une grande considération pour eux, mais à l’époque, plusieurs avaient du mal à exprimer cette considération. » Bref, on revient de loin!

 

Une arme défensive

Se déprécier, c’est aussi une façon efficace d’esquiver la critique et de se protéger contre les remarques désobligeantes. Adepte de cette tactique défensive, Karen en sait quelque chose. « Sans être vraiment obèse, je suis rondelette, avoue cette gestionnaire de 35 ans. Alors, pour éviter que les gens ne me traitent de ‘’toutoune’’ dans mon dos, je les précède. Je dis à tous que je me trouve grosse, énorme. Résultat : ils ne peuvent qu’essayer de me persuader du contraire. »

C’est un peu dans cette même optique que plusieurs d’entre nous se qualifient de moches, mal foutues, stupides… et quoi encore. « Ceux et celles qui se dénigrent le font souvent pour se cacher, explique Lewis Sheptard. En avouant ainsi leur incompétence, ils se libèrent de leurs responsabilités. » De son propre aveu, c’est ce que fait Danielle, une technicienne en garderie de 27 ans. « J’aime mieux prétendre que je suis incapable d’accomplir une tâche que de subir un éventuel échec, dit-elle. Je trouve ça moins douloureux, même si je sais que ça me limite. »

Dès lors, la tendance à l’autodépréciation cesse d’être un jeu de pouvoir et devient un handicap sérieux. « Ces gens-là hésitent à poser des gestes par crainte d’être démasqués, explique Marie-Josée Prévost. C’est ce qui pousse certaines personnes à refuser l’amitié qui pourrait se transformer en amour, à renoncer aux promotions, à fuir de belles occasions. Il serait trop simple d’affirmer que les gens ne se déprécient que pour attirer les compliments ou déjouer la critique. Ceux et celles qui en souffrent vraiment ne sont pas d’aussi fins stratèges. »

 

Comment retrouver l’estime de soi

Pour se départir de ses démons, il y a donc des années d’entraînement à oublier et une foule d’expériences acquises à reléguer au passé. « On doit d’abord apprendre à douter de sa propre perception des événements, explique Marie-Josée Prévost. Plutôt que de douter de soi, il faut remettre en question l’analyse que l’on fait de la situation, prendre conscience de notre subjectivité et faire ensuite l’exercice d’une plus grande objectivité. »  Pour y arriver, la psychologue propose les techniques suivantes :

  • Faites un effort conscient pour trouver autant d’informations positives que négatives lorsque vous portez un jugement sur vous-même. Par exemple, une personne qui se trouve trop grosse devra trouver une qualité physique qui vient compenser le jugement négatif.
  • Prenez le temps d’évaluer vos exigences dans une perspective réaliste et objective. Ainsi, plutôt que de vous dénigrer et vous laisser abattre par des tâches impossibles à accomplir, dressez le bilan des activités qui vous permettraient d’atteindre un niveau de rendement appréciable.
  • Faites une rétrospective de vos expériences passées en analysant les éléments déclencheurs et les conséquences. Essayez d’identifier les situations qui éveillent ce sentiment d’incompétence et qui vous incitent à vous dénigrer.

Une telle prise de conscience devrait vous aider à reconnaître (enfin) votre juste valeur.  « Pour chaque élément négatif, il se trouve un élément positif, affirme Lewis Sheptard. En s’efforçant de percevoir ainsi notre réalité, nous désamorçons le processus de dénigrement. Nous nous obligeons à accepter les facettes positives et à leur donner tout autant d’importance qu’à ces torts qui nous obsèdent. »

Il faut donc être conscient de notre réflexe d’autodépréciation, mais pour en venir à bout, il faut d’abord avant tout l’étaler au grand jour.  « Ce n’est qu’en avouant notre problème qu’il prendra une dimension plus concrète conclut Lewis Sheptard. En ouvrant ainsi la porte aux confidences de nos amis, on constate que plusieurs d’entre eux vivent les mêmes difficultés, le problème devient soudainement moins puissant. » La prochaine fois que vous aurez l’impression de ne pas valoir grand-chose, allez en discuter avec cette amie que vous trouvez si belle. Si elle ose vous avouer qu’elle aussi se sent moche et laide de temps à autre, vous serez probablement guérie à jamais!

 

Autrice :   Johanne de Bellefeuille